Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
A la Croisée des Chemins
A la Croisée des Chemins
Publicité
Archives
7 décembre 2009

La ceinture d'Aphrodite

junon_ceinture_JBPierre"Avec de l'ambroisie [Hêra] efface d'abord de son corps désirable toutes les souillures. Elle l'oint ensuite avec une huile grasse, divine et suave, dont le parfum est fait pour elle; quand elle l'agite dans le palais de Zeus au seuil de bronze, la senteur en emplit la terre comme le ciel. Elle en oint son beau corps, puis elle peigne ses cheveux de ses propres mains et les tresse en nattes luisantes, qui pendent, belles et divines, du haut de son front éternel. Après quoi, elle vêt une robe divine qu'Athêna a ouvrée et lustrée pour elle, en y ajoutant nombre d'ornements. Avec ses attaches d'or, elle l'agrafe sur sa gorge. Elle se ceint d'une ceinture qui se pare de cent franges. Aux lobes percés de ses deux oreilles elle enfonce des boucles, à trois châtons, à l'aspect granuleux, où éclate un charme infini. Sa tête enfin, la toute divine la couvre d'un voile tout beau, tout neuf, blanc comme un soleil. A ses pieds luisants elle attache de belles sandales. Enfin, quand elle a ainsi autour de son corps disposé toute sa parure, elle sort de sa chambre, elle appelle Aphrodite à l'écart des dieux et elle lui dit:

-- Voudrais-tu m'en croire, enfant, et faire ce que je te dirai? Ou t'y refuseras-tu, parce que tu m'en veux, dans le fond de ton cœur, de soutenir les Danaens, quand toi, tu soutiens les Troyens?

Et la fille de Zeus, Aphrodite, répond:

-- Hêra, déesse auguste, fille du grand Cronos, dis-moi ce que tu as en tête. Mon cœur me pousse à faire ce que tu me demandes, si c'est chose que je puisse faire et qui se soit déjà faite.

L'auguste Hêra alors, perfidement, lui dit:

Eh bien! donne-moi donc la tendresse, le désir, par lesquels tu domptes à la foi tous les dieux et tous les mortels. Je m'en vais, aux confins de la terre féconde, visiter Océan, le père des dieux, et Thétys, leur mère. Ce sont eux qui, dans leur demeure, m'ont nourrie et élevée, du jour où ils m'avaient reçue des mains de Rhéa, dans les temps où Zeus à la grande voix avait mis Cronos sous la terre et sous la mer infinie. Je vais les visiter et mettre fin à leurs querelles obstinée. Voilà longtemps qu'ils se privent l'un l'autre de lit et d'amour, tant la colère a envahi leurs âmes. Si, par des mots qui les flattent, j'arrive à convaincre leurs cœurs et si je les ramène au lit où ils s'uniront d'amour, par eux, à tout jamais, mon nom sera chéri et vénéré.

Et Aphrodite qui aime les sourires, à son tour, lui dit:

-- Il est pour moi tout ensemble impossible et malséant de te refuser ce que tu demandes: tu es celle qui repose dans les bras de Zeus, dieu suprême.

Elle dit, et de son sein elle détache alors le ruban brodé, aux dessins variés, où résident tous les charmes. Là sont tendresse, désir, entretien amoureux aux propos séducteurs qui trompent le cœur des plus sages. Elle le met aux mains d'Hêra et lui dit, en l'appelant de tous ses noms:

-- Tiens! mets-moi ce ruban dans le pli de ta robe. Tout figure dans ses dessins variés. Je te le dis: tu ne reviendras pas sans avoir achevé ce dont tu as tellement envie dans le cœur."

Elle dit et fait sourire l'auguste Hêra aux grands yeux, et, souriante, Hêra met le ruban dans le pli de sa robe."

***

Hêra va faire un tour en Piéride et tente d'acheter le Sommeil, pour que celui-ci endorme Zeus quand elle le lui demandera. En échange elle lui offrira un siège indestructible forgé par Héphaistos. Le Sommeil refuse, par peur du châtiment de Zeus, mais au terme du marchandage, il consent finalement à obéir à la reine des dieux:

"-- Va, je te donnerai, moi, en mariage une des jeunes Grâces, et elle portera le nom de ton épouse.

Elle dit, et Sommeil a grande joie et lui dit en réponse:

-- Eh bien! jure-moi donc par l'eau inviolable du Styx, en touchant d'une main le sol nourricier et, de l'autre, la mer étincelante -- afin que les dieux d'en bas entourant Cronos nous servent de témoins -- jure de me donner une des jeunes Grâces, Pasithée, qu'aussi bien je désire, et depuis toujours."

***

Zeus_and_Hera_greek_mythology_687002_1000_845Le marché est conclu, le Sommeil va se cacher sur l'Ida tandis qu'Hêra va trouver Zeus.

"Hêra a cependant vite atteint le Gargare, sommet du haut Ida. L'assembleur de nuées, Zeus, l'aperçoit, et à peine l'a-t-il aperçue que l'amour enveloppe son âme prudente, un amour tout pareil à celui du temps où, entrés dans le même lit, ils s'étaient unis d'amour, à l'insu de leurs parents. Devant elle, il se lève, lui parle, en l'appelant de tous ses noms:

-- Hêra, dans quelle pensée viens-tu donc ainsi du haut de l'Olympe! Tu es là sans chevaux, sans char, où monter.

L'auguste Hêra alors, perfidement, répond:

-- Je m'en vais aux confins de la terre féconde visiter Océan, le père des dieux, et Thétys, leur mère. Ce sont eux qui m'ont nourrie, élevée dans leur demeure. Je vais les visiter et mettre un terme à leurs querelles obstinées. Voilà longtemps qu'ils se privent l'un l'autre de lit et d'amour, tant la colère a envahi leurs âmes. Mes coursiers sont arrêtés au pied de l'Ida riche en sources, prêts à me porter sur la terre et l'onde. Si à cette heure, je descends de l'Olympe ici, comme je le fais, c'est à cause de toi, dans la crainte que plus tard tu ne te fâches contre moi, si j'étais, sans te rien dire, partie pour le palais d'Océan aux flots profonds.

L'assembleur de nuées, Zeus, en réponse dit:

-- Hêra, il sera temps plus tard de partir là-bas. Va! couchons-nous et goûtons le plaisir d'amour. Jamais encore pareil désir d'une déesse ni d'une femme n'a à tel point inondé et dompté mon cœur en ma poitrine -- non, pas même quand je m'épris de l'épouse d'Ixion, la mère de Pirithoos, pour le conseil égal au dieux -- ni de Danaé, aux fines chevilles, la fille d'Acrisios, la mère de Persée glorieux entre tous les héros; -- ni de la fille de l'illustre Phénix, qui me donna pour fils Minos et Rhadamanthe égal aux dieux; -- ni de Sémélé ni d'Alcmène, à Thèbes: Alcmène, qui enfanta Héraclès aux puissants desseins; Sémélé, qui donna le jour à Dionysos, joie des mortels; -- ni de Déméter, la reine aux belles tresses; -- ni de la glorieuse Létô; ni de toi-même; -- non, jamais autant que je t'aime à cette heure et que me tient le doux désir.

L'auguste Hêra alors, perfidement, lui dit:

-- Terrible Cronide, quels mots as-tu dits là? Ton envie est donc vraiment à cette heure de goûter l'amour dans mes bras sur les cimes de l'Ida et que tout se passe au grand jour? Mais qu'arriverait-il, si un dieu éternel, nous apercevant endormis, s'en allait en courant conter l'histoire à tous les autres dieux? Je n'oserais plus rentrer dans ta demeure, au lever de ce lit: on trouverait la chose trop mauvaise. Non, si c'est là ce que tu veux et ce qui plaît à ton cœur, n'as-tu pas la chambre que t'as faite ton fils Héphaistos et dont il a garni les montants de la porte de solides vantaux? Allons nous en nous coucher là, puisque c'est le lit qui t'attire.

L'assembleur de nuées, Zeus, en réplique dit:

-- Hêra, ne crains pas qu'homme ni dieu te voie, au milieu de la nuée d'or dont je te veux envelopper. Le Soleil lui-même ne nous verra pas à travers, lui dont les rayons sont les plus perçants.

Il dit, et le fils de Cronos prend sa femme en ses bras. Et, sous eux, la terre divine fait naître un tendre gazon, lotôs frais, safran et jacinthe, tapis serré et doux dont l'épaisseur les protège du sol. C'est sur lui qu'ils s'étendent, enveloppés d'un beau nuage d'or, d'où perle une rosée brillante."

Homère, Iliade, Chant XIV, v. 170-223, 267-276 et 292-351

Traduction Paul Mazon (éd. Belles Lettres, Collection des Universités de France)

***

Cela fait longtemps que j'aurais pu poster ce texte, parce que c'est vraiment mon passage préféré de l'Iliade. En fait j'y ai repensé il y a peu, à l'occasion d'une soirée costumée sur le thème de l'Olympe, ou bien entendu, avec ma modestie habituelle, je me suis déguisée en Aphrodite: le drapé, les coquillages, les boucles d'oreille en forme de gouttes pour rappeler l'océan dont elle est née, la pomme d'or, prix de beauté remis par le pâtre Pâris et origine de la guerre de Troie, et cette fameuse ceinture, dont il semblerait en fait qu'elle ne soit qu'un simple ruban selon Paul Mazon (un strophion, bande de tissu employé comme soutien-gorge, plutôt qu'une dzônê, une ceinture à proprement parler; le texte grec n'est pas clair: il utile le mot himas qui désigne une lanière de cuir).

Draper_Herbert_The_Pearls_of_Aphrodite

Les tableaux représentent dans l'ordre Vénus donnant sa fameuse ceinture à Junon (par le peintre Jean-Baptiste Pierre (1714-1789), le tableau se trouve au Château de Versailles), Jupiter et sa Junon (on reconnaît la ceinture qui enserre la poitrine de Junon; je n'ai malheureusement pas la référence du tableau; les joies de la recherche d'images sur internet...) et enfin Vénus et ses perles, peinte par Herbert Draper (1863-1920).

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité