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A la Croisée des Chemins
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21 mars 2010

Troie

Cela fait bien longtemps que je n'ai pas écrit, c'est mal, je sais. Surtout que j'aurais des tas de choses à commenter, vu que je lis pas mal en ce moment. Mais je manque un peu de temps pour faire des compte-rendus.
Aujourd'hui, j'ai décidé de réagir à chaud sinon je ne le ferai jamais. Cet après-midi, j'ai revu Troie de Wolfgang Petersen.

Troie_affiche


Bon, je crois que je l'avais vu au cinéma quand il est sorti en 2004. Dans mon souvenir, c'était un peu n'importe quoi, mais c'était sympa, un divertissement agréable malgré de nombreux défauts. En fait, c'est pire. C'est marrant, mais c'est mauvais.
Procédons par ordre.

Cheval_de_Troie_2Le parti pris du film est de raconter la guerre de Troie (oui, l'ensemble de la guerre de Troie) et de la raconter d'un point de vue strictement humain. En d'autres termes, il n'y a pas de dieux dans Troie. Ceux-ci ne sont rien d'autres que des noms que l'on implore en vain. Et d'ailleurs, à chaque fois qu'on interprète les présages (toujours du côté troyen, deux fois), cela conduit à un désastre: d'abord, l'attaque des bateaux grecs qui entraîne dans la bataille qui s'ensuit la mort de Patrocle qui a les conséquences que l'on sait (le duel Achille-Hector et la mort de ce dernier), puis évidemment, l'introduction du cheval de bois à l'intérieur de la ville.
Paris_et_H_l_neÉvacuer les dieux, pourquoi pas, d'autant plus que ça évite une débauche d'effets spéciaux super-kitsch. Même si on perd là l'un des éléments les plus marrants de l'Iliade (parce que franchement, moi, les manœuvres d'Hêra qui baise avec Zeus pour l'empêcher de voir que les Troyens prennent le dessus, ou bien Aphrodite qui tente de protéger l'un des Troyen (Enée je crois), se prend au passage un coup de lance et va pleurer dans les jupes de son dieu de père, je trouve ça fendard!), j'admets. Évidemment, cela force à opérer un certain nombre d'aménagements, à commencer par la cause de la guerre: il n'y en a plus. Il faut trouver un autre moyen pour amener à Troie Hélène, prix offert à Pâris en récompense de son jugement favorable à Aphrodite dans la querelle qui l'opposait à Hêra et Athêna pour savoir laquelle était la plus belle. Qu'à cela ne tienne, Diane Kruger (alias la belle Hélène) sera vraiment amoureuse du bel Orlando Bloom (le jeune prince Pâris). Mouaif... on fiche une romance hollywoodienne et deux acteurs sexy, ok, si ils veulent, de toute façon, on n'échappe pas à une grande histoire d'amour dans ce genre de film (ils ont bien fichu une romance à deux balles dans Le Seigneur des Anneaux...). Soit pour ce passage.
C'est en fait dans un autre passage que le problème est de taille: le fameux duel entre Ménélas et Pâris. Ménélas est sur le point de tuer Pâris, mais Aphrodite enrobe son petit protégé dans une nuée et le ramène directement dans sa chambre pour lui éviter une mort certaine. Comment finir ce fichu duel autrement? Wolfgang Petersen a donné à Hector le rôle de protéger son petit frère. Je veux bien, mais était-il vraiment nécessaire de tuer Ménélas d'un coup de lance? Pourquoi ne pas lui faire terminer la guerre et retrouver sa chère femme (que ce soit dans l'enceinte de Troie mise à sac ou pour de bon sur les côtes égyptiennes ou elle est restée pure comme dans Hélène d'Euripide) comme toute la tradition classique l'accrédite? Il aurait suffit de lancer l'armée troyenne un peu plus tôt pour protéger le petit prince lâche, et on aurait évité une absurdité. Moins spectaculaire peut-être mais moins stupide.

Hector_et_ParisDe toute façon, allez savoir pourquoi, le metteur en scène a décrété que les Grecs n'étaient qu'un ramassis de soudards qui allaient provoquer sous le prétexte futile d'une vengeance personnelle mais en réalité par cupidité, la ruine d'une cité opulente et raffinée. Certes, le petit Pâris a fait une bêtise, il a enlevé la femme de leur hôte (qui est quand même l'artisan de la paix entre la Grèce et Troie) et il est lâche. Mais il semblerait que l'amour excuse toutes les faiblesses (y compris l'inexistence du jeu d'acteur? Sans vouloir être méchante, je ne vois vraiment pas l'intérêt d'Orlando Bloom dans ce film, mis à part son physique de jeune premier. Peut-être est-ce dû au rôle, j'avoue que le personnage de Pâris n'est pas passionnant, mais là, il a franchement le charisme d'une huître. Vive l'amour-passion...) Et à part lui, les Troyens sont parfaits. Hector est LE prince, à la fois superbe guerrier et habile stratège, mais modeste et obéissant en tout à son roi de père, frère aimant, extraordinaire mari et père de famille comblé, et en plus il est beau; elle est où l'arnaque? Andromaque est une épouse modèle, quant à Priam, c'est l'incarnation du bon roi attentif à son peuple, son seul défaut est d'être un peu trop indulgent avec son petit dernier.
Agamemnon_et_M_n_lasEn face, côté grec, des brutes sans foi ni loi. Le duo des Atrides est particulièrement gratiné. Ménélas est un porc qui va pleurer dans les bras de son frère, et Agamemnon, "le roi des rois", est encore pire, une brute assoiffée de pouvoir, ambitieux cynique, bête et méchant. Achille bien sûr sort du lot, mais bon, c'est Achille, c'est le héros. Mais c'est surtout un rebelle qui ne supporte pas l'autorité, particulièrement celle d'Agamemnon, mais il semblerait que le problème soit plus général, et pas seulement dû au fait qu'Agamemnon est véritablement détestable. Et puis, c'est un petit crétin susceptible à la recherche de gloriole (mais c'est assez ressemblant au personnage d'Homère en fait..) Ajax ne sert à rien à part à montrer comment Hector il est trop fort parce qu'il a buté un géant (comme Achille au début, sauf que pour Hector, ça a été un peu moins expéditif, voire un peu laborieux). Patrocle n'est là que Ulyssepour mourir, mais ça, c'est normal. Le seul qui tire son épingle du jeu là-dedans, c'est Ulysse, malheureusement trop rare, mais bien le seul à être intelligent: les arguments qu'il donne Achille pour tenter de le convaincre de revenir se battre et pour lui expliquer son propre engagement ont au moins le mérite d'être pragmatiques: maintenant qu'ils sont engagés, c'est trop tard pour reculer, ils n'auraient plus la moindre crédibilité, et certes il n'aime pas particulièrement Agamemnon, mais c'est lui qui commande, et Ithaque ne peut se permettre de se le mettre à dos. Ouais, au moins, ça a un sens... Franchement, un tel parti pris me paraît dommage.
Festin___SparteÉvidemment les Grecs n'étaient sans doute pas des enfants de chœur, mais pourquoi les Troyens seraient-ils mieux? Pourquoi caricaturer ainsi les deux camps? Agamemnon n'est certes pas particulièrement aimable, mais ils auraient au moins pu lui donner l'étoffe d'un vrai roi, avec le minimum de classe qui va avec, je trouve. Et pourquoi vouloir en faire le sale belliciste cupide? Parce que Hélène était un motif suffisant pour déclencher la guerre de la même manière que des tas de guerres ont démarré: par le jeu de alliances. Car Hélène est d'ascendance divine, fille de Zeus et Léda, et elle est la plus femme de Grèce, celle que tous les rois grecs souhaitaient épouser. Or son père, prévoyant, a fait jurer à tous ses prétendants (grosso modo, tous les rois grecs engagés devant les murs de Troie) qu'ils assisteraient toujours celui qui serait choisi. Ménélas offensé et le joyau de la Grèce enlevé, il était normal que tous ces princes aillent se battre pour rapporter la belle dans sa patrie et venger l'honneur de celui à qui ils ont juré assistance. Je ne dis pas que la logique n'est pas primaire, mais elle est là et je ne comprends pas vraiment la nécessité de faire des Grecs des méchants... Après tout, comme on dit dans les cours de récréation, c'est les Troyens qui ont commencé!

Bris_isMis à part les personnages caricaturaux, il y a d'autres libertés prises avec le mythe qui me paraissent un peu difficiles à digérer, et surtout, dont je ne comprends vraiment pas l'intérêt (c'est surtout ça qui me dérange: ça n'apporte rien). J'ai déjà parlé de la mort de Ménélas. Ajoutons-y celle d'Agamemnon. Vous serez heureux d'apprendre braves gens, qu'Agamemnon est mort lors du sac de Troie, poignardé par la jolie Briséis à qui il était en train de promettre un avenir d'esclavage humiliant. Encore une fois, où est la dignité royale? Et quel est cet acharnement à faire périr tous les méchants qui ne sont d'ailleurs méchants que parce qu'on a décidé qu'ils l'étaient? Il n'y a même pas dans ce film d'Iphigénie pour faire du roi des rois un véritable tyran sanguinaire et sans cœur... Idem pour Ajax qui joue les utilités. Et enfin, notons la mort d'Achille. Car lui aussi, c'est bien connu, est mort pendant le pillage de Troie, et pour les beaux yeux de Briséis encore! D'ailleurs sa mort est exemplaire: s'il prend bien une flèche dans le talon (la seule qu'il n'enlève pas), il s'en prend ensuite trois ou quatre en pleine poitrine!
AndromaqueMais il n'y a pas que des gens qui meurent avant terme (ou après en ce qui concerne Achille). A l'inverse, les "gentils" subissent bien peu de pertes, car, ô miracle!, le bon Hector avant de partir au casse-pipe a montré à sa femme un passage secret pour fuir Troie dont il a pressenti la chute. Et la belle, obéissante, y entraîne une longue file de Troyens (déserteurs!) parmi lesquels son fils bien sûr, mais aussi Enée (dont c'est la seule apparition, alors qu'il es censé se battre en bonne place parmi les Troyens, mais c'est vrai que là, il a rajeuni et rendu femme et enfant) avec son vieux papa et "l'épée de Troie" que Pâris lui a confiée (jolie vision des Pénates), et enfin Hélène herself! Les rejoindront bientôt le beau Pâris qui n'aura pas rencontré de Philoctète pour le tuer et la jolie Briséis qu'il a "sauvée" des mains du vilain Achille (le pauvre, alors qu'il venait lui aussi la sauver, il a été tué sous ses yeux...). Entre le carnage du côté des Grecs et les miraculés troyens, on se dit qu'heureusement qu'Homère était un peu mieux inspiré, parce que sinon, on aurait perdu la moitié de la tragédie grecque, et autant de la tragédie classique française. Ah pardon, j'avais oublié, ils sont américains, ils s'en foutent...
Enfin, peut-être est-ce anecdotique, mais ça me paraît assez symptomatique de ce traitement par dessus la jambe des choses, Hollywood a accompli le miracle de raccourcir le temps, ramenant la fameuse guerre de Troie à environ 15 jours, trois semaines pour faire large, dont 12 jours de trêve accordés à Priam pour les funérailles d'Hector. D'ailleurs les Américains ont aussi le pouvoir de modifier la géographie: Sparte est désormais une charmante petite ville portuaire.

AchilleBon, je suis méchante, il y a quand même quelques trucs bien dans ce film. A commencer par le casting. Impressionnant. Combien de gens (de midinettes?) à commencer par moi, si je me souviens bien, sont allés voir ce film pour Brad Pitt (Achille) en jupette? Il faut avouer que c'était alléchant, le résultat est bon, sans être exceptionnel, selon moi c'est loin d'être son meilleur rôle. Eric Bana en revanche est très bon en Hector. Pour rester dans les personnages principaux, j'ai déjà dit ce que je pensais d'Orlando Bloom (Pâris): en un mot, falot. HectorQuant à Diane Kruger (Hélène), je dirais qu'elle fait ce qu'elle peut mais sans être très convaincante, ni convaincue manifestement, mais on la comprend, elle n'a pas franchement la carrure pour incarner la plus belle femme du monde antique, celle dont la beauté est quasi-divine... Parmi les autres acteurs, mention spéciale à Peter O'Toole dans le rôle de Priam, très convaincant en vieux sage. Les femmes, Rose Byrne (Briséis) et Saffron Burrows (Andromaque), ne sont pas mal. J'aurais tendance à dire que Brian Cox (Agamemnon) joue assez bien le rôle détestable qu'on lui a attribué: il est orgueilleux, prétentieux et dépourvu de sentiments. Enfin, je regrette encore une fois qu'on ne voit pas plus Sean Bean qui compose un Ulysse assez intéressant, pragmatique et roublard.
Hector_vs_PatrocleDeuxième point positif, les batailles sont chouettes. Et heureusement, pour un péplum hollywoodien, louper les scènes de bataille, ce serait quand même un comble! Belles scènes d'armées en marche, impressionnant panorama de la flotte grecque et surtout, de belles scènes de duels, à part le duel initial entre Achille et Boagrius, le gigantesque champion troyen, qui est expéditif et sans intérêt. En revanche, le duel  Ménélas-Pâris est bien vu, Hector-Ajax est bien fichu, Hector-Patrocle est encore un cran au-dessus et enfin, l'ultime duel, Hector-Achille, est un sommet, à la fois impressionnant et d'une grande intensité dramatique: peu à peu, Hector est désarmé, perdant chaque fois plus de terrain devant l'impitoyable Achille sans pour autant être ridicule; il lutte jusqu'au bout, mais avant même de descendre dans l'arène, il sait que tout est fini car les dieux l'ont abandonné, ou plutôt dans cette version hollywoodienne, car il a conscience d'avoir réveillé en Achille une haine qui le rend quasi-invincible.
PriamDans l'ensemble, le film bat son plein de la mort de Ménélas aux funérailles d'Hector. C'est là qu'on trouve les quelques moments forts, l'apogée étant, à mon avis, la fameuse scène où Priam s'introduit seul au beau milieu de la nuit dans le camp des Grecs et vient supplier Achille de lui rendre le corps d'Hector afin qu'il puisse lui offrir les funérailles qu'il mérite. La dignité et l'humilité du vieux roi troyen vient bouleverser le jeune guerrier orgueilleux et colérique. La scène est presque digne de son modèle homérique. La fin en revanche (faux départ des Grecs, cheval de Troie, pillage et incendie de la ville) est un peu rapide et un peu trop "clean": à part Priam, tué par derrière par un soldat, ça manque de morts célèbres côté troyen (ou au moins de capture pour esclavage)...
Enfin, quand même, il faut reconnaître que le film est dans l'ensemble grandiose: décors et costumes valent vraiment le détour. Je ne sais pas dans quelle mesure la reconstitution est exacte, mais elle est belle et efficace.

TroieEn conclusion, ce film est à mon sens mauvais, quoique distrayant. Non pas que je sois crispée sur mon Iliade (je n'ai pas fait une crise sur le nombre de personnages absents, et je veux même bien admettre le principe d'une guerre de Troie sans dieux!), mais je trouve que la majeure partie des libertés prises par le scénariste sont absolument gratuites et injustifiées, et n'aboutissent qu'à un appauvrissement du film en rendant les personnages et les situations caricaturaux. Il ne reste donc qu'un beau spectacle à l'intensité très inégale.
Pour terminer, je tiens quand même à signaler une critique intéressante du scénario et de la reconstitution sur un site assez extraordinaire, entièrement dédié au péplum. Et juste pour le plaisir, je rajoute une critique vacharde qui à mon avis tombe drôlement juste (sauf peut-être pour la musique, elle n'a pas un grand intérêt mais je n'irai pas jusqu'à la qualifier de catastrophique, même si ça semble être une opinion assez répandue).


Flotte_grecque

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